Billet d’où ? – janvier 2022

 
 

D’accord, d’accord, je ne le nierai pas : dans mon titre s’entend l’envie de vous écrire un billet doux. Eh oui, un peu de douceur, que diable, dans ce monde de brutes !
Ou plutôt, à vrai dire, un peu de parole subjective, par pitié, dans ce monde de perroquets hypnotisés…

D’où ça parle ? d’où ça parle, pour faire entendre un peu le sujet ?
Ça parle, aujourd’hui ça parle trop, tout parle, à tort et à travers et sans sujet. Vos applications vous parlent : elles vous racontent votre vie, elles vous racontent qui vous êtes. L’application GPS retrace vos trajets et les présente sous forme de roman photo agrémenté des images de quelques « lieux phares » – où, Covid oblige, vous retrouvez davantage vos lieux de travail que vos lieux de vacances, sur la carte trois points entre lesquels vous tournez en rond, triangle des Bermudes ? Fin d’année, l’application musique vous rappelle vos découvertes de l’année, vos coups de coeur, les chansons que vous avez écoutées en boucle ; elle en fait une espèce de clip qui vous raconterait, avec extraits musicaux qui vous replongent dans l’atmosphère des moments les plus lumineux ou les plus sombres de votre année.
L’intelligence artificielle parle, « raconte » : une farce de fiction sans narrateur, sans histoire, construite à partir des répétitions repérées.
L’être humain parle, essaie de parler : mais ça parle, de manière robotisée, de manière téléguidée de l’extérieur – le discours courant parle à travers nos voix -, et de l’intérieur – ça parle, nos mécanismes psychiques déterminent le texte et nous l’imposent.
Où entendre un peu le sujet ? Où se fait-il entendre ?

Et encore : d’où ça écrit ? J’écris, donc je suis ?
Dans ses éditoriaux récents, Jean-Richard accoste au continent de l’écriture par différents rivages. Ce mois-ci, il évoque l’écriture « proche du cri, de l’énonciation pure, ni symptôme, ni sinthome » ; « une certaine musicalité du désir, une approche ultime dans l’adresse ».
Les formes d’écriture, publiques ou non, sont très diverses : les journaux intimes et leurs rêveries diurnes ou récit de symptômes, l’écriture comme parure narcissique, les textes littéraires qui vont du voile occultant l’humain, aux fresques magnifiques à travers lesquelles filtre l’humain, aux tableaux peignant l’humain, jusqu’à des philtres concentrés d’humain et de subjectivité. Amers, parfois, ces philtres, ou épicés, intenses, brûlants, insupportables presque. Clarice Lispector, Marguerite Duras, Virginia Woolf, Pascal Quignard…

Il est des écritures où ça parle, et ça n’est pas un robot. Ça parle, et s’entend le sujet. S’entend l’humain, sa complexité, le vivant, son incandescence.
Je propose l’idée que ce type d’écriture et ce qui vient à s’entendre dans une cure sont très proches. Il y a quelque chose d’un vif, d’un cru de la parole, qui dit quelque chose de l’indicible – le vif, le cru, l’incandescent du vivant humain.
Certaines écritures y touchent – on y touche dans la cure, à travers l’intensément singulier : ces moments où se dit – se mi-dit la forme singulière que prend l’incandescence du vivant pour un analysant ; forme qui structure et aliène, et qui à se dire un peu s’assouplit un peu, ouvre des brèches… Alors se sentir exister – un peu ! – et supporter d’exister, supporter le cri de l’incandescence qui se lève en nous… 

                                                … à travers les brèches il se module en chant.

Cyrielle Weisgerber

 
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