Billet d’où ? – février 2022

 
 

À quand la fin des haricots ?!..



« Être » psychanalyste n’empêche pas de se poser des questions idiotes : y a-t-il un risque que l’être humain s’arrête de parler, ne sache plus parler ? 
Je veux dire, un risque que l’être humain n’ait plus accès à l’ouverture possible par la parole, cet endroit où quelque chose – on ne sait trop quoi, et peu importe – se dit, peut s’entendre. Un risque que l’être humain se retrouve enfermé dans des discours ficelés, univoques, mécaniques, réduits au communicable et au consommable ?

À ma décharge, ce n’est pas à n’importe quel moment que la question m’a traversé l’esprit. Fin de longue journée de consultations, un jour gris, froid, d’un hiver interminable – ne dure-t-il pas depuis deux ans à présent, notre étrange hiver de la pensée ?
Lorsque le psychanalyste ne trouve pas sa position dans son fauteuil, lorsque sa pensée est engourdie, la série des discours de ses analysants/patients peut avoir des effets indésirés, indésirables. Par exemple, la sédimentation de la vase des discours ambiants, charriée par les vagues de la parole de chaque analysant.
Il faut le dire, tout de même : l’époque, et ses discours ambiants, exhalent des relents de marécage. Menaces en tous genres, seules réponses en termes budgétaires et sécuritaires : maître mot, l’argent. Ou plus précisément, la nuance est d’importance, mot dictateur, l’argent.
Les relents marécageux infiltrent le discours de chaque analysant/patient, bien malgré lui. Fin de longue journée de consultations, des couches successives de vase se sont sédimentées. Alors la question s’insinue dans mon esprit envasé : à force de sédimentation, la parole au sens de l’ouverture ne risque-t-elle pas de mourir écrasée sous la chape de roches en formation ? Risquons-nous d’oublier que nous sommes humains ? L’époque atteint-elle des sommets d’inhumanité jusque-là inégalés ? La dictature d’un mot peut-elle figer à jamais la danse de tous les autres ? Sommes-nous en train d’atteindre un point de non-retour, sommes-nous entrés dans une époque qui interdit tout espoir ? – oui, la journée avait vraiment été longue…

Trêve de « fin des haricots » ! 
L’époque n’est pas glorieuse, certes. 
Mais, et la psychanalyse nous le fait entendre, la question de l’oppression est intemporelle : la dimension de l’oppression elle aussi fait partie de l’humain… Pouvoir, abus de pouvoir, discours qui impose un sens – combien illusoire soit-il -, ces mécanismes font partie de l’humain aussi, font partie des mécanismes de la parole. 
À vrai dire nous ne pourrions pas même nous en passer totalement – comment vivre sans aucun sens, même illusoire ? Un pouvoir d’oppression existe en chacun de nous, et il s’exerce d’abord à l’intérieur de nous-même : aliénation et dans le même mouvement construction psychique, et séparation, si le sujet en trouve les voies. L’oppression s’exerce sur nous-mêmes et/ou sur les autres – en certains plus cruelle qu’en d’autres. La séparation, la désaliénation (relative) restent à conquérir : affaires singulières, affaires de transfert à un Autre non écrasant, affaires de psychanalyse… (et d’art et de rencontres, parfois ?..)

La parole comme ouverture est une perpétuelle révolte, une rébellion constante, une résistance en acte. « Frères humains », rappelle Jean-Richard Freymann ; amis résistants, ai-je envie d’écrire, haut la parole !

 
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