Billet d’où ? – mars 2022
Sublimes abîmes, sublimes élans ?
« Le travail de pensée est donc réalisé par la sublimation des forces pulsionnelles érotiques. Ainsi, toute activité signifiante est du domaine de la sublimation, pas seulement de sa nature, elle est activité de sublimation : c’est la question de la sublimation du désir. Le désir est-il alors une sublimation ? »
Jean-Richard Freymann,
Les mécanismes psychiques de l’inconscient
Que se passe-t-il, lorsque j’écoute de la musique ? une voix, ou un instrument, la voix d’un instrument, ou les deux mêlés, enlacés. Quel est cet effet ?
Pourquoi certaines musiques me touchent-elles si profondément, et d’autres non ? Dans une chanson, à un moment précis, là, maintenant, une voix s’ajoute à la voix de la chanteuse, un écho, une vibration de fond, une vibration venue du fond de je ne sais quoi, elle me traverse, se transforme en pulsation au fond de mon corps. La pulsation se propage, et l’envie de laisser le corps être porté, ondulé, saccadé, spasmé par l’onde vibratoire.
Pourquoi certaines musiques touchent-elles si fort une personne, et pas d’autres ? Pourquoi certaines musiques me touchaient-elles il y a trois mois, un an, vingt ans, et me laissent-elles presque indifférente aujourd’hui ? La résonance entre cette musique et mon corps ne se produit plus : qu’est-ce qui se passe, dans le corps, dans le psychisme, pour que changent les points de résonance ?En l’affaire il y a du corps, de la pulsation, de la pulsion ? du mouvement, du mouvement désirant ? Quel objet, quelle articulation entre l’objet et le sujet divisé, pour créer ou non la résonance ? quelle transformation de l’articulation entre l’objet et le sujet divisé, pour transformer la résonance ?
Histoires de couple. Affaires de couple. Amours, haines, indifférences. Les infinies variations qui se disent sur le divan.
On peut dénuder jusqu’à la trame de l’affaire, l’articulation entre une personne et une autre par « objets a » interposés. Effet étrange de voir la trame à nu : ainsi ce n’est « que » cela ? Où sont passés les promesses, les baratins, les émois, les drames, les déclarations fiévreuses, les basses trahisons, les sacrifices héroïques, les petites lâchetés, les soutiens indéfectibles, les leurres, les vérités, toute l’épaisseur de l’affaire ? Trame et épaisseur, les deux dimensions existent.
J’évoque tout cela aujourd’hui, ce joyeux et terrible bazar, parce que j’ai été frappée d’entendre dans la pratique l’étendue des effets qu’a l’articulation d’un couple, le « couplage » d’un couple.
Au-delà de l’épaisseur, la façon dont une personne est articulée à l’autre du couple a des effets sur les mécanismes psychiques essentiels de la personne : la forme de la dynamique désirante, et jusqu’à sa possibilité ou son impossibilité. Impossibilité ou possibilité de la dynamique désirante ne sont pas des détails : le monde est mort, ou le monde est vivant.
Je vous laisse imaginer quelques variantes et nuances.
« Vieux » couple pris dans sa routine : vivifiante, ou mortifère, ou répétition sans fin, immuable. Arrangements, accommodements, adaptations de l’un à l’autre : compromis ou entraves, camisoles, enfermements, bâillons. Mais lorsque quelque chose bouge dans l’articulation du couple, la trame de fond – et souvent une cure permet que les « couplages » grippés se dégrippent -, des effets étonnants peuvent se produire : « découplage » bien sûr, parfois, mais d’autres fois décalages, retricotage différent de la trame.
Et parfois, un monde mort redevient vivant.
Il est étonnant d’observer à quel point le monde « subjectif » que j’évoque là (la version très singulière du monde construite par le psychisme d’une personne) peut être indépendant des remous et fracas du monde extérieur – « une guerre, quelle guerre ?..», diront certains sans ironie aucune, pris qu’ils sont par leurs conflits internes, et résolutions internes.
Ou au contraire le monde « subjectif » peut être envahi tout autant que l’Ukraine – et sur d’autres tirent les armes, celles du conflit actuel, et jusqu’aux armes d’une guerre passée.