Billet d’où ? – juillet 2022
Variations sur l’inspiration
Jour 1
Les mots ne reviennent jamais tout à fait identiques. Une ou deux phrases se sont dessinées dans mon esprit, hier, avant-hier, je ne sais plus, des phrases à écrire, pas écrit de suite, pas le temps, pas le courage, ou il était tard, je me rappellerai les mots – les mots ne reviennent pas. Peut-être est-ce à les chercher qu’ils ne reviennent pas. Arrêter de chercher.
Tant de paroles. Tant d’écrits. À quoi reconnaître un « texte », une « écriture » ? Un de ces textes qu’on lit encore, un demi-millénaire plus tard. Qu’ont-ils de particulier, ces textes d’il y a mille ou deux cents ans, qui nous touchent encore ?
Et tout l’intérêt qu’un humain peut avoir pour des mots, pour des histoires. La soif de mots.
Si le corps n’est pas approvisionné en eau, son degré d’hydratation baisse et il meurt. Si l’humain n’est pas abreuvé de mots, que se passe-t-il ?
Il y a cette différence radicale
– lorsque j’essaie d’exprimer une idée, cherche à construire des phrases – je déteste cela, ne le supporte plus, aversion viscérale
– lorsqu’une phrase se tisse, et je l’écris sans la connaître avant de l’avoir tracée. Seules ces phrases « méritent » d’être écrites – non, je n’aime écrire que ces phrases. À mon sens seules ces phrases sont de l’écriture – le reste est rédaction, disons, pour marquer la différence de jalons de mots.
Jour 2
Pourquoi chercher à dire ? Qu’est-ce que ce « besoin » de dire ?
Pourquoi ne me suffit-il pas de vivre, de ressentir que je suis vivante, pourquoi la nécessité d’en écrire quelque chose ?
Longtemps je n’ai pas ressenti que j’étais vivante – parce que je cherchais à l’écrire ?
Ou au contraire – écrire le vivant à défaut de pouvoir l’être ?
Jour 3
Je suis assise. Je suis assise, sur le bois de la terrasse, au soleil du matin, dans le vent tourbillonnant, reste d’orage de la nuit.
J’essaie de penser – comment penser lorsqu’on a une vague idée de ce qu’est la pensée – château de cartes illusoires, chimériques, hallucinées… – et le prodige parfois du pont-levis d’un château, ouvert et touchant le pont-levis d’un autre château… – parfois, un instant, avant que les cartes illusoires ne s’effondrent, et disparaissent.
Comment penser – poser les unes sur les autres des cartes hallucinées… comment supporter de le faire en sachant à peu près ce que l’on fait ?
Le faire, parce que d’un pont-levis à l’autre, parfois…
Je suis assise, à même le bois de la terrasse, au soleil du matin, dans le vent tourbillonnant – peu de cartes tiennent.
Je sais à peu près que je ne peux pas dire que je sais quelque chose – de la vie (humaine), je veux dire, du vivant (humain), toutes les connaissances autres et diverses je m’en fiche. Souvent démunie, de ne pouvoir savoir la vie, de ne pouvoir saisir le vivant dans des mots, des idées. À quoi bon parler, alors, et de quoi ?
Parfois je ne peux plus même lire ni écouter les cathédrales de mots des autres. Sentiment d’errance, l’errance du fétu de paille agité en tous sens par le vent tourbillonnant.
Non, assise ce matin, à même le bois de la terrasse. Quelque chose m’assied, m’ancre. Je ne peux pas dire que je sais quelque chose de la vie – je peux parler tout de même.
De penser la vie, d’être dans la vie, de l’expérimenter, de vivre et de penser, donne à l’humain quelque chose à en dire, de la vie.
Il n’est pas simple de le dire : il y faut de la poésie.
Retour à ma question d’il y a deux jours : pourquoi certains écrits d’il y a mille ou deux cents ans nous touchent-ils encore ? Ils recèlent des fragments de cela : de ce que vivre et penser donne à dire à l’humain.
Ces considérations semblent ne concerner que l’inspiration « littéraire » : en quoi concerneraient-elles l‘analyste ?
L’analyste s’occupe du même vivant, essaie d’en comprendre quelque chose, de pouvoir en formuler quelque chose, pour pouvoir l’entendre, cet humain-là qui vient lui parler. Lorsqu’il en entend quelque chose, parfois, c’est de la même manière et par le même procédé : à vivre et penser, cela lui donne à entendre quelque chose de ce que vivre et penser donne à dire à celui qui parle.
« Entendre », pour peu qu’il soit analyste – désencombré un peu dans son rapport à ses propres symptômes, et animé d’un « désir de l’analyste » – le désir d’entendre ce que vivre et penser donne à dire à celui qui parle ?…