Corps / incandescence – extrait 1

 
 

Lui
Je suis sorti toutes les nuits. Plus que jamais. Brûler quelque chose qui restait en moi.
Quelques nuits plus tard, je l’ai rencontrée. Il s’est passé alors ce que tu attendais qu’il se passe, je crois ? Un instant j’ai douté, me suis demandé si ce n’était pas à toi que cela était destiné, ce qu’il s’est passé. Mais elle, elle… elle était tellement vivante. Le doute s’est évanoui.


Elle
Que s’est-il passé ?


Lui
Je ne sais pas si je me rappelle bien. Il y a vingt ans…
Et il y a eu tout le temps de vingt ans, toute la suite, alors je ne sais plus bien. Je suis avec elle, encore.

Elle
Cela se passe toujours, donc, ce qu’il s’est passé.


Lui
Non. Il s’est passé vingt ans. Rien ne dure vingt ans.


Elle
Que s’est-il passé ?


Lui
L’amour, la passion, les choses habituelles…


Elle
Que s’est-il passé ?


Lui
Avec le recul on ne sait plus, ou si l’on savait encore ce serait ridicule, à travers la poussière des années…


Elle
Que s’est-il passé ?


Lui
D’accord, je vais te le dire. Je vais te le dire comme si tu étais elle. Nous allons faire semblant, nous allons jouer. C’est la seule façon de dire les choses. Le reste est baratin. Assez de baratin.
Viens, lève-toi, assieds-toi là, sur cette chaise.
Non, reviens, là, au sol, là, c’est plus juste.
Et moi ? Est-ce que je reste debout, je m’éloigne ? oui, je m’éloigne un peu.
Tu ne fais rien, tu ne bouges pas, tu ne dis rien. D’accord ?
La première rencontre – je me suis demandé, après coup, si cela avait été un coup de foudre, une évidence au premier regard, au premier instant. Non. La première rencontre, elle m’a fait sourire – sa gaieté, sa joie, le mouvement vivant, elle dansait à chaque instant, sans danser je veux dire, lorsqu’elle parlait lorsqu’elle bougeait lorsqu’elle se taisait elle dansait, un sourire flottait sur mes lèvres. Mais la deuxième rencontre. Lorsque je l’ai revue.


obscurité
deux voix off, les mêmes (silences entre les mots, entre les lignes) 


Voix Off 1
– Il a posé un genou à terre.

Voix Off 2
– Oui, il a posé un genou à terre.

Voix Off 1
– Ce n’est pas une feinte, il n’a pas décidé, il est sur le point de défaillir.

Voix Off 2
– L’émotion surtout, le souffle coupé, la voix tremblante, jusque dans son silence sa voix tremble.

Voix Off 1
– Et ses yeux, ses yeux

Voix Off 2
– Chaque femme rêverait d’être aimée ainsi.

Voix Off 1
– Chaque homme rêverait, aussi.

Voix Off 2
– Rêverait, si n’était la peur…

Voix Off 1
– une peur incomprise, incompréhensible, une peur d’on ne sait quoi

Voix Off 2
– et ses yeux, ses yeux

Voix Off 1
– quelle peur

Voix Off 2
– chaque femme rêverait…

Voix Off 1
– chaque homme rêverait…

Voix Off 2
– mais la peur sait, la peur sait… la mort au creux de l’amour, la peur sait.

Voix Off 1
– rêverait. Et ses yeux, l’intensité en ses yeux, sans fond ses yeux, elle y tomberait sans fin, sans fond son regard, il la regarde jusqu’au fond d’elle-même, jusqu’à la fin d’elle-même.

Voix Off 2
– rêverait, rêve, elle rêve, elle en oublierait la peur. Mais la peur sait.

Les voix se taisent. La lumière se rallume.
Lentement il revient près d’elle, se rassied.

 
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