2008 (naissance du journal)

 
 

2008 – après le 31 mai 2008

(L’enfant est né. Hors du livre. L’enfant de mon corps, est né.
Je n’écris plus.
Il écrit. Dans ma chair écrit, chaque instant en mot. Dans ma chair écrit tous les mots du monde.)

(J’ai voulu ne pas oublier que l’enfant est né. Le prix en était de ne pas écrire, l’ai voulu tout de même.)

(L’enfant est né. Ma chair bruissante de ses mots, de son silence.
N’ai pas voulu l’oublier, ne l’ai pas oublié. Ne m’en rappelle plus. Il me reste le bruissement de ma chair. N’ai rien oublié, à oublier il n’y avait rien, rien à se rappeler, à appeler rien. Écrits ses mots en moi, en ma chair sourde et aveugle.
Dont le bruissement, un rien étouffé, se fait écriture.)

(Mon fils m’écrit, je n’écris pas. Le temps passe, ne se tourne pas une page.
Mon fils m’écrit, un mort me tait, je n’écris – pas.)

(Le changement perceptible, à peine, des odeurs.
Insaisissable – il saisit. Je ne sais ce qu’il saisit, quelque part en « moi », saisit, étreint, et déchire.)

(Les odeurs, pas même de mot, pas même ceux-là écrits pour leur changement. Leur changement, au bord des mots.)

(L’odeur de sang et d’intérieur. La première odeur, du premier instant.
Le début de cette odeur, si net.
Un instant du temps condensé, concentré, figé jusqu’à en sortir. Puis on ne sait – je ne sais – quand elle s’est arrêtée.
L’insaisissable étreint et déchire.)

(J’ai cessé, ceci qui ici est écrit, sitôt j’ai cessé d’écrire.
Cela ne suffisait pas, d’écrire, cela suffisait trop.
Cela ne changeait rien, et tout, tout, cela changeait. Cela amoindrissait, tout, jusqu’aux mots.)

(Le temps était tangible, palpable, n’avait pas de nom.
J’ai compté les jours, les semaines comme si les jours, les semaines existaient. Je me suis raccrochée à leur compte, à leur nombre.)

(La chaleur.
Elle n’étouffe plus.
Elle a envahi les corps, l’air entre les corps. Égale. L’air a l’épaisseur, la touffeur des corps.
Tout est suspendu.
Alors le temps, très lent, très lourd.)

(La chaleur.
Le corps si petit de mon enfant, et le mien. L’enfant, il n’est de l’enfant aucune possession. Mien pourtant, plus que ne l’est mon corps propre. Et à la fois il ne l’est pas.)

(Qu’il y ait un jour à nouveau des semaines… était invraisemblable.
À nouveau il y a des semaines.)

(Tout ce que je n’ai pas écrit. Que je passerai ma vie à ne pas écrire.
Amour de l’enfant. Amour.)

Cyrielle Weisgerber

 
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