mai – juin 2016 (déchirements du vivant)

 
 

5 mai 2016

Dans l’avion entre Paris et Madrid. Jean-René Lemoine. Traversée par ses mots, des fulgurances. Larmes au fond des entrailles. Un fils parle à sa mère morte.
Dans le fauteuil de l’autre côté du couloir un bébé dans les bras de sa mère. Il s’agite. La mère l’occupe, souffle sur son ventre, il rit aux éclats, rit, encore, encore.
Jean-René Lemoine.

La mère donne le biberon à son fils. Mes enfants allaités. Mes enfants collés à mes seins. Cela a eu lieu. Traversée – je suis, traversée. Vagues, contradictoires. Les vagues se moquent des contradictions. Peut-on juxtaposer “vagues” et “contradictoires” ? Vagues désaccordées, traversée, traversée – je suis, traversée, par les vagues contradictoires traversée.
Le bébé du fauteuil d’à côté cherche le regard des autres autour de lui, capte le mien, me sourit de tous ses yeux bleus, de tout le bleu de ses yeux. Sourire à cet enfant, et les vagues au fond de moi. Vivre – être déchirée. Il faut pour noyer le déchirement tout l’ennui dont nous sommes capables. Vomir la fadeur et l’ennui.

8 mai 2016

Chaussures achetées en Espagne, faites en Espagne. Ce qui avait l’air de cuir – effet mordoré – est du tissu – effet mordoré.
Veste longue, les boutons de métal sont en plastique.
Sous la douche le pansement silicone mis sur mon ampoule se décolle. La peau de l’ampoule décollée sur le pansement, large crevasse de chair sur mon talon.
Le papier qui enveloppe le monde se déchire.
Tout se déchire.

7 juin 2016

Ce qui un jour sera mangé par les vers – ne devrait pas penser. Matière un jour, bientôt, grouillante de vers. Cette matière-là ne peut pas penser, et elle pense. Elle pense jusqu’aux vers et leur grouillement. Insoutenable. Merveilles aussi, merveilles. Insoutenable. Un cri, quoi d’autre ? Depuis longtemps ce cri au fond de moi. Lâcheté innommée, innommable, de ne pas crier ce cri. Rien d’autre, ne faire rien d’autre – crier ce cri. Jusqu’à ce que les vers… ce sera le dernier cri.
Lâcheté, lâcheté. Je voudrais – pas un instant de lâcheté – pas un instant de répit. Confortable, rassurante, molle, fade, étouffante lâcheté. Et la fadeur de la lâcheté, plus perçante encore au coeur de la douleur – que le cri.
Pire à ressentir – que le cri.
Fadeur de la lâcheté – insoutenable du cri, pires l’un de l’autre, jusqu’au vertige, le vertige que l’on ressent, à la fin de la chute, à la rencontre du sol. Vertige bu jusqu’à la lie.

21 juin 2016

Je cherche des leçons. Quelqu’un qui m’indiquerait – là.
Il n’y a pas de leçon. Personne pour dire – quoi que ce soit.
Le tison de ma pensée, enfermé dans ma chair. Rien que… Rien que le tison de ma pensée, à la recherche – désespérée, d’une issue. La pensée déchire mes entrailles. Penser me déchire les entrailles.

Éloge du mouvement.
Rien d’immobile – n’existe.
Rien de ce qu’on pense immobile, dit immobile, n’existe. Le contenu, la durée, le permanent, le stable, l’unité – fadaises, foutaises.
Fadaises négligeables si elles ne vous enfermaient, corps et âme. Je suis ceci, je fais cela, pour et parce que – prisons sur mesure dans lesquelles aucun mouvement possible. Pas même respirer.
Mais le mouvement existe. Ceci qui nous porte, de nulle part à nulle part, mais nous porte… Nous porte…

 
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