septembre – octobre 2018 (Clarice Lispector, l’écriture)

 
 

29/09/2018

Ses yeux fins, aiguisés par une ligne noire, son regard traversant, fixé au loin, on ne sait sur quoi. Clarice Lispector. Aucune concession. Quelle force. Quelle douleur. Une force folle, une douleur folle – traverser la vie, la mort. Comment pourrait-il en être autrement ? Traverser la vie, la mort – douleur folle, force folle.
La violence est inévitable. Les violences. Elle m’étonnait, jusque-là. Me heurtait, me choquait, comme un événement surprenant, peu probable, qui survenait pourtant, combien malencontreusement. L’être humain – toi, moi – parvient à se construire l’idée d’un monde dans lequel la violence serait étonnante. Comme nous savons nous leurrer… Un monde doux, presque rassurant, feutré. La violence est partout, tout le temps. Et des moments de grâce, si rares, où un être humain – toi, moi – rencontre un autre et ne le tue pas. Les rues ne sont pas jonchées de cadavres, je sais. Les rencontres ne courent pas les rues, non plus.

Je commande des livres de Clarice Lispector. Choisis dans la liste de mes adresses enregistrées celle de ma grand-mère – elle est toujours chez elle, elle ne rate pas le passage du postier. Sur ce site l’adresse enregistrée est celle de mon grand-père. Mort l’an dernier. Je modifie l’adresse. Change le prénom. Clique sur le bouton “enregistrer”. Ce n’est pas un bouton “enregistrer” : je clique sur le bouton “confirmer que mon grand-père est mort”. Je confirme.

Aucune concession. Le regard fixé à un point au-delà de la mort. Comment pourrait-il en être autrement ? Comment, sans cela, le regard fixé sur un point au-delà de la mort, ne pas faire de concession ?

Nous faisons une chose si merveilleuse, si merveilleuse. Laisser une histoire s’imaginer, le fil se tisser, et toucher une vérité, de plus près qu’aucun érudit au terme de sa longue vie.
Nous avons la capacité de cette chose merveilleuse. Nous, brindilles ballotées par tous les vents, écrasées par tout ce qui passe, avons la capacité de cette chose merveilleuse.

30/09/2018

La force de Clarice Lispector. La force de son regard, de ce point au-delà de tout sur lequel son regard est accroché. La force du point d’accroche. Je ne cèderai en rien sur ce que je pense. Je ne sais pas ce que je pense, ce n’est pas déjà là, amas consistant, mais je ne cèderai en rien sur ce que je pense. Ce que je pense se déroulera, sur le fil entre mon corps, mes yeux, et le point d’accroche au-delà de tout.

7/10/2018

Écrire – c’est aussi plonger dans des eaux profondes, des eaux autres, des eaux intimes, dont je ne sais au moment de plonger si je ressortirai.
Écrire – c’est aussi renverser le monde. Aussi simplement et complètement que cela : renverser le monde.

12/10/2018

Ma pensée est un chat paresseux. Elle se roule en boule dans un endroit chaud et doux, s’étire au soleil, une patte puis l’autre, s’allonge sur le dos de tout son long, se retourne, plisse les yeux, étire son regard en deux traits sombres et dorés sous les rayons du soleil.
Interdisez-lui cela, empêchez-la, la voici un chat sauvage, tous poils dehors, toutes griffes hérissées, acculé au fond d’une sombre boîte sale. Et je n’en tire plus rien, et vous n’en tirerez plus rien, que quelques crachats grondants et agressifs.
Ma pensée est un chat paresseux.

14/10/2018

Chaque mot que j’écris est une rupture avec tout. Un trait, une barre. Le tranchant d’un coup de sabre.

30/10/2018

Il n’y a que l’humour, l’art, la légèreté, pour nous sauver. C’est-à-dire faire simplement, simplement, qu’avant d’être morts nous soyons vivants.

Hier soir dans mon lit, des mots à écrire me sont venus. Quelques mots, deux ou trois phrases, guère plus, des mots à écrire. Je ne me suis pas relevée, la paresse, j’ai pensé que je me rappellerais les mots, que leur musique resterait en moi. Je ne me rappelle pas.
Les mots parlaient du vivant. Le vivant me parle, en ce moment.
Envie de rire, un rire – le pétillement du vivant, ce rire-là précisément.
Vivre ma vie plutôt que la mourir.

Le sérieux est un gouffre.
Comme on ne sait pas cela. Comme on ne nous apprend pas cela. Certains enfants le savent – résistent, résistent, ou en crèvent. Quelques adultes aussi.

 
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